Stéphane

 

Bonsoir à tous, 

Il est 06h25 et je suis seul sur le quai de l'arrêt "8 mai". Un tramway ligne 2 arrive mais je le laisse passer. Au même moment, un homme arrive sur le quai et comme il ne monte pas dans la rame, j'en déduis qu'il prendra la ligne 3 et qu'il descendra donc après "Commerce" : je décide de l'aborder, il accepte. Comme je le pensais, mon inconnu va jusqu'au terminus de la ligne 3 : on va avoir une chouette et longue discussion.

Je vous présente Stéphane, 55 ans.

Dans la vie, mon inconnu du jour est cuisinier : " J'ai commencé serveur avec un CAP et de fil en aiguille je me suis retrouvé derrière les fourneaux. Tu veux que je te raconte mon parcours, mais y en a des choses à dire ! (rires)

Entre 1986 et 1990, j'ai commencé à faire les saisons : j'étais jeune, ça permet de voyager, voir du pays et faire son expérience professionnelle car c'est formateur. Tu es jeune, sans famille, sans enfant, tu peux vivre ta vie comme tu le souhaites.

De 1991 à 2000, j'ai travaillé dans le restaurant d'une amie à Rennes, c'est là que j'ai commencé à me former en cuisine. Dans les années 2000, je suis parti à Londres, toujours dans la restauration mais en tant que serveur, et également chez un traiteur. J'y suis resté un moment et puis je suis rentré en France - à Paris plus précisément : après Londres, je ne me voyais pas retourner vivre dans une petite ville, donc Paris c'était la suite logique. J'ai continué à travailler dans le même domaine qu'à Londres : chez un traiteur... J'ai alors rencontré quelqu'un, mais Paris nous pesait un peu et c'est en 2005 que des amis qui habitent Nantes et qui y ont une entreprise, nous parlent de leur ville et nous invitent à venir vivre ici.

Avec mon ami, on hésitait déjà entre Nantes et Toulouse, le choix n'a pas été trop difficile à faire. (rires)

Donc en arrivant ici, en 2005, on ouvre une affaire sur l'île de Nantes en face de la maison des syndicats. Puis en 2009 on a une opportunité d'ouvrir une seconde affaire juste à côté, on la saisit et ça marche. Nous avons de la chance, tout va bien, même si dans la restauration il y a quand même des hauts et des bas. On va pas se mentir : on a dû fermer notre première affaire ! Et puis le COVID arrive et là, c'est le drame, ça nous achève ... On a dû vendre en 2021.

Et là, la grande question se pose : est-ce que je peux redevenir salarié après avoir été patron pendant tant d'années ? Attention, spoiler : non ! (rires) 

C'est là qu'un ami qui a une entreprise de nettoyage en recherche de monde m'a proposé de lui filer un coup de main. Comme je ne me voyais pas rester chez moi à ne rien faire j'ai accepté son offre. Au bout d'un an, je suis passé auto-entrepreneur mais je me suis rendu compte que le nettoyage n'était pas pour moi : j'ai besoin de parler, et dans le ménage tu es seul ... 

Au même moment, il y a eu toute une campagne du gouvernement au sujet des retraites, mettant en avant un site où tu peux aller voir combien d'annuité il te reste avant de partir en retraite. Et là je suis tombé de ma chaise car j'ai réalisé qu'en tant que patron on cotisait très peu. Donc ça n'a pas fait n'y une ni deux, j'ai mis mon CV chez Pôle Emploi et en 15 jours je travaillais en cuisine dans une maison de séniors. Certes, je suis salarié mais au moins il y a du contact avec les résidents et je cotise plus en étant salarié. " (rires) 

J'ai déjà, je pense la réponse à ma question mais je lui demande s'il aime son métier ? 

" Oui clairement, c'est une passion ! Je trouve ça gratifiant de faire à manger à quelqu'un ... Et en France, la bouffe ça rapproche les gens. 

- Comment la cuisine est rentrée dans ta vie ?

- Je n'étais pas très bon à l'école et mes parents m'ont dit de faire un CAP. Je ne savais pas lequel et à l'époque on allait régulièrement au restaurant avec mes parents, un petit restaurant à côté de la maison. C'est ma sœur qui m'a lancé l'idée de la cuisine sans que j'y aie pensé avant. Donc j'ai fait un stage dans ce petit restaurant, qui a débouché sur un apprentissage : voilà comment tout à commencé. " 

Je lui demande de m'apprendre un truc sur son métier.

" Je pourrai t'apprendre une recette, mais en cuisine on a plein d'ustensiles aux noms bizarres, donc sais-tu ce que sont : un chinois, un cul de poule, une maryse et la corne ? 

- Alors le chinois, oui mais le reste non. 

- Le cul de poule c'est comme un saladier mais en inox ; la maryse c'est une spatule qui permet de bien racler le cul de poule, et la corne c'est un ustensile en forme de demie-lune qui permet de bien racler un saladier. " 

Mis à part son métier Stéphane aime marcher - en moyenne il marche 14km le long des bords de Sèvre - courir quand il fait beau et voyager : " A une époque de ma vie je voyageais beaucoup, mais on vient d'acheter une maison donc pour le moment on voyage moins.

- Ton dernier voyage ? 

- Lisbonne et j'aimerais aller en Argentine et mon rêve ultime ce serait Ushuaïa. " 

Il n'aime pas les incivilités et les personnes qui parlent fort dans les transports en commun. 

"Es-tu heureux aujourd'hui ?

- Oui. J'ai toujours fait ce que je voulais faire et je me sens accompli aussi bien personnellement que professionnellement. "

Le mot de la fin ?

"Merci de m'avoir abordé et interviewé c'était super agréable de parler à un inconnu. " 

Merci Stéphane et j'espère que nous nous recroiserons sur le quai du tramway. 

A.