Thumbnail

Bonsoir à tous,

La semaine dernière, j’étais motivé. Nouvel appareil photo dans la sacoche — un Fujifilm X100VI — j’avais envie de jouer avec. Et quoi de mieux que d’aborder et de photographier des inconnus dans le tramway ?

C’est ainsi que je me retrouve à engager la conversation avec la première personne que je croise dans la rame. Ce n’était pas gagné d’avance : à ses premiers mots, il m’annonce une nouvelle pas très joyeuse. Je lui raconte que moi aussi, j’ai traversé la même épreuve à plusieurs reprises l’an passé… Et là, je vois son visage se détendre, son regard devenir plus doux. À son tour, il se montre compatissant.

Je vous présente Carpo, 39 ans.

Dans la vie, Carpo travaille dans le plâtre :

"Je fais de la décoration : des rosaces, des moulures, des corniches… Je suis staffeur.
Comment j’ai appris ce métier ? Mon père faisait déjà ça, et c’est lui qui m’a transmis le savoir.
Je bosse depuis l’âge de 14 ans, et j’aime ce que je fais.
C’est un métier difficile, mais le côté créatif, c’est vraiment mon kiff !
Récemment, j’ai travaillé sur le Queen Mary 2, le paquebot géant à Saint-Nazaire."

Je lui demande de m’apprendre quelque chose sur son métier. Carpo me prend alors mon crayon pour me faire un schéma :

"Je vais te dessiner un rail de coupe. C’est une technique qui permet de renforcer une structure juste en incisant un rail métallique. Une fois les incisions faites, tu viens glisser ton placo dedans — et ça ne bougera plus.
Pas besoin de vis, et tu gagnes en solidité. C’est tout bête, mais super efficace. C’est mon père qui m’a appris ça !"

On a un peu de temps, alors je me permets de lui demander l’origine de son surnom : Carpo.

"Mon prénom, c’est Nicolas. Mais plus personne ne m’appelle comme ça — même mon père m’appelle Carpo !
En fait, ça remonte à une soirée à Pénestin, quand j’étais plus jeune. J’ai ‘carpoté’ sur la plage… et c’est resté."

Je l’interromps, curieux : "Désolé, mais je ne connais pas ce mot… Ça veut dire quoi 'carpoter' ?"

Il rit :

"C’est de l’argot. Ça veut dire tomber à la renverse… En gros, je me suis vautré sur la plage, et le surnom est resté."

 

En dehors de son métier, Carpo aime marcher pour s’aérer l’esprit, et lire. Il sort alors de sa poche un petit téléphone à touches, à l’ancienne :

"J’ai pas Internet. Les smartphones, ça ne m’intéresse pas.
J’aime le papier, j’aime tourner les pages, j’aime lire le journal.
Et j’aime Presse Océan, pas Ouest France !" (rires)

Il n’aime pas les cons, ni le manque de respect :

"Mon défaut, c’est que je suis franc. Je dis toujours ce que je pense, même aux cons !"

Je lui demande s’il est heureux, aujourd’hui.

"Non, pas vraiment.
Je vais à la gare, je pars aux obsèques de ma mère…
Tu sais, je suis à la rue. Enfin, pas en ce moment : je dors chez un ami.
Mais même quand je dormais sous une tente, j’étais heureux. Je me suis jamais plaint.
On a de la chance de vivre en France. Y’a des gens qui vivent dans des pays en guerre.
C’est pas simple tous les jours, mais je me considère pas malheureux.
Mais là, tout de suite… non, je suis pas trop heureux."

Je termine comme toujours par : "Le mot de la fin ?"

"Franchement, que tu sois venu me parler dans le tramway, ça m’a fait du bien.
Ça n’enlève pas la tristesse, mais ça m’a fait du bien au moral.
Alors mon mot de la fin, ce sera : merci."

 

Merci à toi, Carpo.
C’était un chouette moment d’échange, si tôt dans le tramway.
Je te souhaite bon vent, et j’espère qu’on se recroisera un jour.

A.

A propos d'Allan Touchais

Copyright © 2025 . L'INCONNU DU TRAMWAY