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Bonsoir à tous,

Ce soir, j’étais tranquille dans la rame quand un homme me demande comment oblitérer son ticket. Ça se voit tout de suite : ce n’est pas un habitué du tramway. Je lui montre comment faire, on se retrouve assis à peu près au même niveau… et comme souvent, je me permets de l’aborder. Pas de chance pour lui !

Je vous présente Patrick, 52 ans.

Dans la vie, Patrick est ouvrier papetier depuis 12 ans.
Mais attention, il ne fait pas n’importe quel papier : celui qu’on trouve au fond des dosettes à café. Son usine reçoit de la pâte de bois, des fibres végétales ou chimiques, et grâce à un procédé bien précis, elle fabrique cette membrane filtrante qu’on ne voit jamais, mais qu’on utilise tous les jours.

Ce n’est pas une vocation. C’est un peu le hasard qui l’a mené là, après dix ans passés dans l’agroalimentaire. Fatigué, il tente l’intérim… et décroche ce poste.

"Je travaille en 5-8 — un rythme intense, mais qui paie bien !" (rires)
Les journées s’enchaînent, de matin en après-midi, de nuit en repos.
Il faut surveiller les machines, gérer les stocks de matière première, réagir vite.
"Ce n’est jamais la même chose", me dit-il. Et c’est précisément ce qu’il aime.

Je lui demande de m’apprendre quelque chose sur son métier. Il me raconte une anecdote :

"Un jour, à cause d’une erreur de dosage, une dosette est sortie différente.
Sauf qu’au test, le café était bien meilleur.
Comme quoi, même une erreur peut améliorer un process quand on sait observer."

Avant ce poste, Patrick a aussi travaillé pour OCB, qui fabrique du papier à cigarettes, dans une autre usine de papier, près de Quimper.

Je lui demande où il habite, car quelque chose me dit qu’il n’est pas d’ici.

"J’habite à Concarneau. Mais je suis venu pour une bonne raison : le concert des Pixies, au Zénith de Nantes."

Grand fan du groupe, il les avait vus à Paris en 2007. Cette fois, il a quitté Reims, où il passait des vacances avec sa compagne, juste pour les revoir.

"Mon hôtel est juste à côté de la ligne de tramway.
Je vais au concert, et demain, je rentre à Concarneau. Ma copine me rejoint là-bas."

En dehors du travail, Patrick aime voyager — il est allé neuf fois en Asie du Sud-Est —, bien manger (mais pas cuisiner), faire la fête.

Il n’aime pas les pruneaux, l’intolérance, ni l’ambiance politique mondiale actuelle, qu’il trouve de plus en plus inquiétante.

Je lui demande s’il est heureux.

"Je vais voir les Pixies. Comment veux-tu que je ne sois pas heureux ?"

Mais derrière le sourire, il me parle aussi de la fatigue.
Les douleurs au dos, les tendinites, les hernies qui tombent souvent… pile au moment des vacances.

"Comme si mon corps attendait que je me pose pour lâcher."
Il s’interroge :
"Comment je vais tenir jusqu’à 64 ans ?
Beaucoup de mes collègues sont cassés, déjà en arrêt…"

Et le mot de la fin ?

"Soyez heureux."
Pour lui, c’est tout ce qui compte.

Merci Patrick pour ce moment. Je doute que nos chemins se recroisent… mais sait-on jamais, le hasard fait parfois bien les choses.

A.

A propos d'Allan Touchais

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